Paradoxe EPR : des signaux plus rapides que la lumière ?

Un groupe de physiciens de l’Université de Genève (UNIGE) dirigé par Nicolas Gisin, l’un des pionniers de la téléportation quantique, vient de poser des bornes à l’hypothétique vitesse de propagation d’un signal, dépassant la vitesse de la lumière, proposé pour expliquer classiquement le paradoxe EPR.

Il existe en mécanique quantique un effet très célèbre dénommé paradoxe d’Einstein-Podolski-Rosen, ou paradoxe EPR. C’est en 1935 qu’Einstein et ses deux jeunes collègues publièrent un article tentant de prouver que la mécanique quantique ne pouvait pas être la description ultime de ce qu’était un quanta de lumière, ou un quanta de matière, car conduisant à des phénomènes violant au minimum l’esprit de la relativité restreinte.

Deux particules, comme des photons produits par la désintégration d’une autre particule, y apparaissaient alors comme un tout indissociable et toute mesure de l’une de ces particules, produisant une modification de l’état de cette dernière, entraînait instantanément une modification de l’état de l’autre, quand bien même celles-ci soient séparées par une distance de plusieurs millions d’années-lumière. Une conclusion qui semblait bien peu compatible avec la théorie de la relativité d’Einstein qui implique qu’aucun signal ne peut se déplacer plus vite que la lumière dans l’Univers.

Pour décrire l’état particulier de ces paires de particules en mécanique quantique, on parle de paires de particules intriquées, et il y a une théorie mathématique permettant de définir ce qu’on entend par intrication pour des systèmes physiques.

Des actions à distance fantômes

En fait, une analyse soignée du phénomène montre, comme le fit Niels Bohr, qu’il est possible de conserver à la fois la théorie d’Einstein et les lois de la mécanique quantique si l’on admet qu’il existe une sorte de « non-localité ». Les objets dans l’Univers ne seraient pas fondamentalement dans l’espace et dans le temps et c’est juste par une sorte d’effet de perspective que nous fractionnerions une réalité constituée d’un seul bloc, et fondamentalement au-delà de l’espace et du temps, en une série de particules et/ou d’ondes dans l’espace et le temps.

Cela ne veut pas dire que l’espace et le temps soient des illusions, mais juste que les images que nous avons de la réalité avec ces concepts sont des approximations trompeuses, bien que justes dans un certain domaine de notre expérience. Une conclusion déjà atteinte par Platon, Kant et les philosophes hindous avec la notion de « Maya ».

Cette conclusion est rejetée par les physiciens qui suivent les travaux de John Bell.


A gauche John Bell et à droite le prix Nobel Martinus Veltman.
Crédit : CERN, AIP Emilio Segre Visual Archives.

Rappelons que c’est ce dernier qui dans les années 60 avait découvert une série d’inégalités mathématiques permettant de savoir qui, d’Einstein ou des tenants de l’interprétation standard de la mécanique quantique, l’interprétation de Copenhague, avaient raison. Or, en 1982, le physicien français Alain Aspect avait effectivement montré que le phénomène de non-localité en accord avec les lois de la mécanique quantique orthodoxe était bel et bien une réalité.

Dans les années 50, l’expérience originale d’Einstein utilisant des mesures de positions et de vitesses avec des particules de matière avait été traduite théoriquement en termes d’expériences sur la polarisation des photons par David Bohm. Ce sont donc ces expériences qu’Aspect et ses collègues réalisèrent. En violant les célèbres inégalités de Bell, les bizarres « actions à distance fantômes » (selon les mots d’Einstein) impliquées par l’intrication quantique étaient bien là.

La cause semblait entendue mais John Bell et d’autres n’en démordirent pas. La mécanique quantique, avec les inégalités de Heisenberg, le principe de complémentarité de Bohr, et toutes les amplitudes de probabilités qu’utilise cette dernière ne pouvait pas être l’expression ultime de la réalité selon leur intuition.

Bell se tourna alors vers une approche particulièrement iconoclaste de la part d’un défenseur des idées d’Einstein.

Une hypothèse iconoclaste

Et si non seulement la mécanique quantique mais aussi la théorie de la relativité restreinte étaient fausses dans le même sens où la théorie de Newton est fausse par rapport à ces dernières ?

Ne pourrait-il pas exister, au fond, une sorte de référentiel absolu, un peu comme dans la physique de Newton pré-relativiste, où une sorte de dynamique sub-quantique prendrait place avec certaines interactions pouvant effectivement se déplacer plus vite que la lumière ?

Dans ce cas là, les images bien classiques d’ondes et de particules dans l’espace et dans le temps, et le déterminisme, pourraient être restaurés.

Autant dire qu’une telle éventualité semble bien peu naturelle et les derniers tests de la relativité restreinte d’Einstein montrent que celle-ci est particulièrement solide. Mais au fond, qu’en savons-nous réellement ?


La localisation géographique des expériences du groupe de physiciens Suisses. Crédit : Nature.

C’est dans ce cadre que l’on peut replacer les travaux du groupe de Nicolas Gisin à l’Université de Genève. Utilisant les fibres optiques du réseau de Swisscom s’étendant sur 18 km entre Satigny et Jussy dans la région de Genève, les physiciens ont réalisé une expérience de type EPR avec des paires de photons intriquées. En profitant de la rotation de la Terre sur une période de 24 h, il est alors possible de tester des théories reposant sur l’existence d’une sorte de référentiel absolu, un éther en quel que sorte, par rapport auquel la Terre ne se déplacerait pas avec une vitesse supérieure à un millième de celle de la lumière.

La conclusion des chercheurs est la suivante comme ils l’expliquent dans Nature : si un tel référentiel absolu existait, la vitesse des interactions entre particules intriquées devrait être au moins 10000 fois plus rapide que la lumière pour expliquer les corrélations quantiques bizarres se manifestant avec le phénomène de non-localité observé.


Le début de l’article d’Einstein-Podolski-Rosen

Source : Futura Sciences

2 thoughts on “Paradoxe EPR : des signaux plus rapides que la lumière ?”

  1. Le paradoxe EPR

    Si l‘équation de Schrödinger est aujourd’hui appliquée par tous les physiciens, il faut se faire à l’idée qu’il est exclu de connaître de façon déterministe les propriétés d’une particule élémentaire, la localiser par exemple, ou déterminer son état quantique instantané.

    En 1935, Einstein, Boris Podolsky et Nathan Rosen publièrent un article retentissant qui jeta un doute sur les fondements de la mécanique quantique. Ils firent une expérience de “pensée” devenue célèbre, connue sous le nom de leurs auteurs, en abrégé le “paradoxe EPR”.

    L’idée d’Einstein et de ses collègues consistait à mettre à l‘épreuve les relations d’incertitudes de Heisenberg :

    “Si, disaient-ils, sans perturber aucunement un système nous pouvons prédire avec certitude (c’est-à-dire avec une probabilité égale à l’unité) la valeur d’une quantité physique, alors il existe un élément de réalité physique correspondant à cette quantité physique”.

    Pour appuyer leur raisonnement ils imaginèrent une expérience qui consistait à observer les paramètres (p, q et le spin) d’un couple de particules éloignées l’une de l’autre, mises en corrélation au départ. Après une collision initiale, leur masse étant identique, les deux particules s‘écartent l’une de l’autre de façon symétrique (loi de conservation de l’impulsion) sans plus jamais interagir.

    Nos trois chercheurs placèrent mentalement deux détecteurs de particules dans une enceinte close et lancèrent deux électrons l’un contre l’autre. Le premier électron fut bien enregistré par le premier détecteur. En accord avec la mécanique classique, le second électron, selon l’expérience, devait être détecté à 90° de là, et de fait, le second détecteur enregistra bien le deuxième électron qui présentait un spin opposé au premier, les physiciens étaient satisfaits. Mais selon Einstein ce que nous venons de vérifier n’avait paradoxalement rien de classique et de banal.

    En fait, dès le jour où les instruments le permirent, de nombreux physiciens firent l’expérience et modifièrent la place du second détecteur. Ils observèrent que quelle que soit sa place, le second électron se dirigeait toujours dans sa direction, comme si de rien n‘était (ou comme s’il connaissait “à l’avance” sa position dirent certains). Le spin était toujours opposé à celui du premier électron, les particules demeuraient en corrélation. Les mesures classiques des positions ou des vitesses des particules n‘étaient pas déterministes.

    Sachant que l‘électron se déplace en ligne droite dans le vide à une vitesse proche de celle de la lumière, les physiciens se sont demandés s’il n’y avait pas une interaction quelconque des particules entre elles ou avec les détecteurs. Ils ont essayé de placer le second détecteur à une distance nettement plus éloignée, dans une direction perpendiculaire à la trajectoire classique, et l’ont même déplacé dans un temps plus court que le temps mis par l‘électron pour l’atteindre.

    A chaque fois et même en dehors de toute relation causale, il détecta sans coup férir le second électron qui était de spin opposé. Les physiciens en déduisirent bientôt que même éloigné de plusieurs années-lumière, le deuxième électron restait en corrélation avec le premier, en violation flagrante de la loi d’Einstein qui stipule que la vitesse de la lumière est une vitesse supérieure limite. Seules les ondes de phase peuvent se propager plus vite que la lumière, mais alors sans transporter d‘énergie. Reste les hypothétiques tachyons capables de se déplacer plus rapidement que la lumière.

    Quelle théorie peut donc bien expliquer ce phénomène ? En fait, de mauvais vulgarisateurs ont tenté d’expliquer ce qu’ils ne comprenaient pas eux-mêmes en “expliquant” par exemple qu’aucun dispositif imaginable par l’homme ne peut reproduire le comportement supposé, sauf peut-être en utilisant une paire d’ordinateurs quantiques si un jour ils voient le jour.

    Pour être complet, voyons malgré tout quelles furent les interprétations proposées à l‘époque pour expliquer le paradoxe EPR. Je précise bien qu’aujourd’hui les deux premières interprétations, celles d’EPR et de Bohr, sont incompatibles avec la théorie quantique actuelle.

    Les interprétations du paradoxe EPR

    Selon Einstein, Podolsky et Rosen

    EPR nous disent qu’il nexiste qu’une seule explication possible : la corrélation consiste en une propriété commune que chacune des particules “emporte avec elle”. Dès lors, ce principe démontre le caractère incomplet de la mécanique quantique “orthodoxe”; il doit exister des variables supplémentaires, “cachées”. Or ce point de vue est opposé à celui de la mécanique quantique, où ce ne sont pas des propriétés intrinsèques des particules qui déterminent les résultats, mais bien l’opération de mesure qui en quelque sorte les créée.

    Pour EPR cette expérience démontre également l’existence du déterminisme puisque les résultats des mesures deviennent des fonctions des propriétés physiques pré-existantes des particules. Et pour prouver leur théorie, EPR développent en détail les hypothèses de leur raisonnement en terme de structure d’espace-temps (propagation limitée à la vitesse de la lumière, etc) et de définition des éléments de réalité, une définition devenue un classique du genre) pour aboutir à la conclusion que leurs hypothèses doivent être intégrées dans une théorie complète. Ainsi que nous le savons, Einstein y travailla durant toute la période où il vécu aux Etat-Unis, sans jamais y parvenir, ni ses successeurs.

    L’interprétation de Bohr
    Bohr répondit à l’article quelques mois plus tard sans rien perdre de son assurance. En fait écrit-il, l’expérience EPR contredit les inégalités de Heisenberg car cette observation obéit aux relations d’incertitudes. Mais à l‘époque peu de physiciens comprirent ce qu’il voulait dire. Bohr allait en fait plus loin que l’idée d’indétermination, en disant que cette corrélation effective démontrait “l’inséparabilité quantique”, l’imbrication inévitable des particules corrélées. Une fois de plus, l’Ecole de Copenhague s’opposait aux conceptions d’Einstein.

    Mais si l’explication de Bohr était paradoxale dans une conception classique et déterministe, celle d’Einstein l‘était tout autant, car personne n’avait jusqu‘à présent trouvé de variables supplémentaires et Einstein ne donnait aucun moyen pour préciser leur origine (et ni Bell ni aucun théoricien ou expérimentateur après lui n’y sont parvenus à ce jour).

    Le paradoxe EPR fut observé au cours de nombreuses expériences et on n’alla même jusqu‘à faire l’hypothèse peu orthodoxe qu’il existait des dimensions cachées, tel l’univers de Hugh Everett, John Wheeler ou Neil Graham (les univers multiples).

    Thierry Lombry

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  2. “Not only is the universe stranger than we imagine, it is stranger than we can imagine.” Sir Arthur Eddington (1882 – 1944)

    “Something unknown is doing we don’t know what.” Sir Arthur Eddington (1882 – 1944), comment on the Uncertainty Principle in quantum physics, 1927

    “We have found a strange footprint on the shores of the unknown. We have devised profound theories, one after another, to account for its origins. At last, we have succeeded in reconstructing the creature that made the footprint. And lo! It is our own” Sir Arthur Eddington (1882 – 1944), Space, Time, and Gravitation, 1920

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