C.G. Jung

Celui qui, poussé par le « daïmon », franchit le pas par lequel il s’aventure hors des frontières de cet état intermédiaire marqué par l’appartenance à une collectivité, pénètre à proprement parler dans « l’inexploré à jamais inexplorable » où il n’est plus de chemins sûrs qui le guident, ni d’abris qui étendent sur lui leur toit protecteur.


C.G. Jung

  • La synchronicité signifie d’abord la simultanéité d’un certain état psychique avec un ou plusieurs événements extérieurs qui apparaissent comme des éléments parallèles signifiants par rapport à l‘état subjectif du moment, et – éventuellement – vice versa.
  • Quand nous nous demandons ce que peut bien être la nature de la conscience, le fait – merveille d’entre les merveilles – qui nous impressionne le plus profondément c’est que, un événement venant à se produire dans le cosmos, il s’en crée simultanément une image en nous où, en quelque sorte, il se déroule parallèlement, devenant ainsi conscient.
  • En effet, notre conscience ne se crée pas elle-même, elle émane de profondeurs inconnues, Dans l’enfance, elle s‘éveille graduellement et, tout au long de la vie, elle s‘éveille le matin, sort des profondeurs du sommeil, d’un état d’inconscience. Elle est comme un enfant qui naît quotidiennement du sein maternel de l’inconscient.
  • Ce n’est qu’au moyen de la psyché que nous pouvons constater que la divinité agit sur nous ; ce faisant, nous sommes incapables de distinguer si ces efficacités proviennent de Dieu ou de l’inconscient, c’est-à-dire que nous ne pouvons trancher la question de savoir si la divinité et l’inconscient constituent deux grandeurs différentes. Tous deux sont des concepts limites pour des contenus transcendantaux. Mais on peut constater empiriquement, avec une vraisemblance suffisante, qu’il existe dans l’inconscient un archétype de la totalité qui se manifeste spontanément dans les rêves, etc., et qu’il existe une tendance indépendante du vouloir conscient qui vise à mettre d’autres archétypes en rapport avec ce centre. C’est pourquoi il ne m’apparaît pas improbable que l’archétype de la totalité possède aussi de lui-même une position centrale qui le rapproche singulièrement de l’image de Dieu. La ressemblance est encore soulignée en particulier par le fait que cet archétype crée une symbolique qui, de tout temps, a servi à caractériser et à exprimer de façon imagée la divinité… L’image de Dieu ne coïncide pas, en serrant les choses de près, avec l’inconscient en toute généralité, mais avec un contenu particulier de celui-ci, à savoir avec l’archétype du Soi. C’est ce dernier que nous ne savons plus séparer empiriquement de l’image de Dieu.

Ma vie

Naturellement, tandis que je travaillais à mes phantasmes, j‘éprouvais le besoin, précisément à cette époque, d’avoir «Â un point d’attache dans ce monde » et je puis dire que celui-ci me fut donné par ma famille et le travail professionnel. Il était pour moi vitalement nécessaire d’avoir une vie rationnelle qui allait de soi, comme contrepoids au monde intérieur étranger. La famille et la profession demeurèrent pour moi la base à laquelle je pus toujours faire retour et qui me prouvait que j‘étais réellement un homme existant et banal. Les contenus de l’inconscient pouvaient parfois me faire sortir de mes gonds. Mais la famille et la conscience que j’avais un diplôme de médecin, que je devais secourir mes malades, que j’avais une femme et cinq enfants, et que j’habitais Seestrasse 228 à Küsnacht – c‘étaient là des réalités qui me sollicitaient et s’imposaient à moi. Elles me prouvèrent, jour après jour, que j’existais réellement et que je n‘étais pas seulement une feuille ballottée au gré des vents de l’esprit, comme un Nietzsche. Nietzsche avait perdu le contact avec le sol sous ses pieds parce qu’il ne possédait rien d’autre que le monde intérieur de ses pensées – monde qui, d’ailleurs, possédait plus Nietzsche que lui-même ne le possédait. Il était déraciné et planait sur la terre, et c’est pourquoi il fut victime de l’exagération et de l’irréalité. Cette irréalité était pour moi le comble de l’abomination, car ce que j’avais en vue, c‘était ce monde-ci et cette vie-ci. Quelque ballotté et perdu dans mes pensées que je fusse, je ne perdais cependant jamais de vue que toute cette expérience à quoi je me livrais concernait ma vie réelle, dont je m’efforçais de parcourir le domaine et d’accomplir le sens. Ma devise était: «Â Hic Rhodus, hic salta »!
De la sorte, ma famille et ma profession furent toujours une réalité dispensatrice de bonheur et la garantie que j’existais normalement et réellement ».

Michel Cazenave

Celui qui, poussé par le « daïmon », franchit le pas par lequel il s’aventure hors des frontières de cet état intermédiaire marqué par l’appartenance à une collectivité, pénètre à proprement parler dans « l’inexploré à jamais inexplorable » où il n’est plus de chemins sûrs qui le guident, ni d’abris qui étendent sur lui leur toit protecteur.

Tirée des « Pensées tardives », des pensée « sur le tard », des dernières réflexions que Jung aient exprimées dans sa « fausse » biographie, cette phrase, de nouveau, marque la minceur de ce trait qui sépare le génie ou la sainteté de la folie, ou comme le dit Platon, la folie inspirée de la folie ordinaire, nous dirions aujourd’hui l’individuation de la psychose, un état a-normal d’un état anormal. Ce n’est même pas ici l’adaptation au réel, l’adaptation au social, qui fait la différence, dans la mesure où, devant le requisit du « numen », l’individu est souvent quelqu’un qui y échappe, quelqu’un de transgressif : et comme le sixième dalaï-lama, dans son processus de renversement tantrique, comme Tsangyang Tsomo Gyatso, réincarnation d’Avalokiteshvara, le Bouddha de compassion, délaissait les devoirs de sa charge pour aller jouer, chanter et boire du tchang dans les tavernes avant de monter dans le lit de celle qu’il désirait afin de manifester qu’il se trouvait au-delà des règlements et des lois, comme Lao-Tseu en Chine, ou bien des siècles plus tard, Jayadeva en Inde s’unirent à des prostituées, comme les « ressuscités d’Alamût » renversaient toutes les règles de l’Islam légalitaire dans le témoignage ainsi donné de leur vie divine ici-bas, on sait que s’est toujours perpétuée, partout et dans toutes les cultures, cette tradition de ce qu’on appelle à raison les « fous de Dieu » – chacun prenant son sens et sa coloration singulière de la religion précise qu’il dépassait de la sorte pour pouvoir parvenir à son cœur et son centre.
« Dans l’inexploré à jamais inexplorable »Â : sans chemin balisé et sans refuge déjà prêt, chacun s’engage ici, définitivement, à ses risques et périls, et c’est sans doute la conscience et la raison exaltés qui tracent le départ entre la dépossession de soi-même qui s’effectue par le haut, et la dépossession qui se perd dans l’aliénation pure et simple.

Alors, le monde vacille, et à la pointe de l’expérience, c’est le doute qui s’installe, cependant que surgissent les idées les plus folles qui sont les plus sensées dans le monde de l’âme.

Michel Cazenave, Jung, L’expérience intérieure (Editions du Rocher, 1997).

One thought on “C.G. Jung”

  1. “La possibilité du génie vient de ce que l‘être humain n’est pas totalement prisonnier du réel, de la logique (néocortex) du code génétique, de la culture, de la société. La recherche, la découverte s’avancent dans la béance de l’incertitude et de l’indécidabilité. Le génie surgit dans la brèche de l’incontrôlable, justement là où rôde la folie. La création jaillit dans la liaison entre les profondeurs obscures psychoaffectives et la flamme vive de la conscience. “
    Edgar Morin
    (Les sept savoirs nécessaires à l‘éducation du futur, p.65, Seuil 2000)

    “La pleine conscience de l’incertitude, de l’aléa, de la tragédie dans toutes choses humaines est loin de m’avoir conduit à la désespérance. Au contraire, il est tonique de troquer la sécurité mentale pour le risque, puisqu’on gagne ainsi la chance. Les vérités polyphoniques de la complexité exaltent, et me comprendront ceux qui comme moi étouffent dans la pensée close, la science close, les vérités bornées, amputées, arrogantes. Il est tonique de s’arracher à jamais au maître mot qui explique tout, à la litanie qui prétend tout résoudre. Il est tonique enfin de considérer le monde, la vie, l’homme, la connaissance, l’action comme systèmes ouverts. L’ouverture, brèche sur l’insondable et le néant, blessure originaire de notre esprit et de notre vie, est aussi la bouche assoiffée et affamée par quoi notre esprit et notre vie désirent, respirent, s’abreuvent, mangent, baisent.”
    Edgar Morin
    (Le paradigme perdu, p.233, Points n°109)

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